Galerie Nast, octobre 2013


D’œuvre en œuvre, un peintre nous convie à l’exploration d’un territoire sensible qui est aussi un territoire de notre sensibilité, de nos émotions. De longue date, le territoire où me transportent les œuvres de Marie-Laurence Lamy les fait voisiner avec d’imaginaires fresques antiques ou pré-renaissantes, fresques à demi-effacées où la matière des murs ne porte plus que par endroits l’empreinte précaire de figures parfois méconnaissables, réduites à quelques couleurs d’une imprévisible intensité.

Qu’on soit étranger au processus exact de leur élaboration n’empêche pas de percevoir, de sentir ou de deviner dans ces œuvres une accumulation de mises à l’épreuve des matières – décollements, recouvrements, effacements, usure – qui leur confère d’emblée une forme d’antiquité. Les œuvres présentées ici, contrairement à d’autres plus anciennes de l’artiste, n’abordent pas la surface picturale comme un vaste aplat, ni comme une juxtaposition de pans non plus que comme une étendue cosmique, un univers courbe intemporel – mais comme un tressage, ce qui tire celles-ci vers un imaginaire de vannerie et de tissage, et donc aussi de textes, qu’on veuille songer à des lambeaux de manuscrits ou simplement à l’étymologie même du texte qui le lie au tissu.

Si les principes d’usure et d’épreuve temporelle subsistent dans ces Textures, le principe génératif visible du tissage désigne une activité manuelle, sa répétition virtuellement infinie mais fatalement rompue, et elle indique aussi une patience du geste et une forme de ténacité ou de résistance, terme où s’entend une aptitude à tenir bon mais aussi à s’opposer. Ce principe de tension et de résistance se trame en quelque sorte deux fois dans les œuvres présentées : une première fois parce que le tissage suppose des fils adéquatement tendus et résistants qui assurent la cohésion et la souplesse de l’ensemble, et une deuxième fois du fait des matières colorées qui jouent leur propre partition dans et contre la trame du tressage.

Poussées de rouge, dispersions de noirs et de bleus, jonctions d’ocres en tiges de bambou, points chromatiques solitaires, dispositions de lignes se surajoutant à la grille du tissage… Les variations d’œuvre à œuvre, dans cet ensemble, peuvent alors se déchiffrer comme l’exploration d’un répertoire de résistances, d’oppositions, de tensions, de contradictions même entre couleurs et trame, une forme muette de discours éclatant parfois en signes noirs et en tracés obliques comme de brèves pulsions d’écriture.

Emmanuel Siety,
Maitre de conférence en cinéma et audiovisuel,
Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3