Galerie Evi Gougenheim 2005-2006


Les peintures de Marie Laurence Lamy, 2005-2006

Une forme harmonieuse, concave et pleine. sur presque tous ces tableaux. Marie-Laurence Lamy la peint à l'huile, la rend luminescente, onctueuse par places, soyeuse, mais attention ! l'histoire commence. Tout se passe pour qu'il y ait un bonheur à voir mais il y a aussi une façon de nous prendre la main pour nous emmener voir d'étranges traces. Nous emmener faire un voyage immobile parce qu'à la surface de ces vases, de ces bols nous traversons des histoires et une géographie.

La matière est travaillée pour cacher et pour révéler. Par endroits elle recouvre et masque, à d'autres elle arrache et dévoile. Je crois voir le puzzle lacunaire d'histoires.

« Je ne sais pas où je vais », dit-elle pour parler de sa façon de peindre. Le tableau avance de la rencontre qu'elle fait du hasard et de l'accidentel. Elle fond à la chaleur électrique la peinture d'une ouvre précédente qui ne la satisfait plus, elle crée une matière et des traces pour avoir les indices d'un nouveau tableau. « Je ne sais pas où je vais mais je sais ce que je ne veux pas ». C'est-à-dire qu'il lui faut reconnaître les parts secrètes soudain révélées, les taches de lumière, les moments d'éblouissement, un rose, soudain un bleu cobalt, puis les cicatrices, les pâtes qui accrochent, blessent, ces foncés qu'elles recouvrent jusqu'à les faire rugueux.

Marie Laurence Lamy semble se servir d'une mémoire tantôt obscure, incertaine, faut-il avancer ou reculer ? -tantôt lumineuse, sans l'ombre d'un doute. Et à suivre la surface des reliefs, la modulation des clairs et des foncés, je commence à voir des tracés géographiques, des continents et des océans, des chaînes de montagne et des rivages. De toute façon le regardeur peut voir toutes les explorations et les traversées qu'il désire, le monde a un contour, elle le dessine. L'aventure peut avoir lieu, le peintre s'occupe de la contenir. Le contenant ovale procure une impression rassurante, le voyage intérieur peut aller d'accidents en péripéties, le bord est là qui limite, et la forme ronde ramène le regard au-delà des aventures. La Terre est ronde ! comme on le dit, on peut toujours revenir.

Et si la forme de ces vases et de ces bols les apparente à la planète Terre, la couleur qui les cerne, uniforme et sans contraste, gris bleu, blanc crème, gris foncé, ressemble à un cosmos vaste et sans repère, qui pourrait me faire éprouver un vertige, si ces vases et ces bols n'étaient toujours posés. Même si le point de contact est souvent hors cadre. Comme pour montrer que leur équilibre est intérieur, moral, sans recours nécessaire à la physique. Force du mental, force du voyage, force de cette peinture.

« Voir suppose la distance, la décision séparatrice, le pouvoir de n'être pas en contact et d'éviter dans le contact la confusion. <.> Mais qu'arrive-t-il quand ce qu'on voit, quoique à distance, semble vous toucher par un contact saisissant, quand la manière de voir est une sorte de touche, quand voir est un contact à distance ? » (Maurice Blanchot). Cet événement qui subvertit le mode habituel du regard, c'est ce qui m'arrive quand je regarde ces peintures.

Elles me captent, mon regard croit les toucher. La couleur, le bleu, voyage mental, détruit la distance. Et la matière accroche mes yeux, ils touchent la surface du tableau, je voyage en surface. Mon oil semble se repérer au toucher. Le comble du regard. Une acrobatie sensorielle.

La seule chose qui rétablit la distance et me fait reprendre l'équilibre, c'est le contour du vase, l'existence incontournable du contenant. Mais de l'effet physique de ces oeuvres, je suis sûre. Sûre de les éprouver, et l'artiste n'a pas lésiné sur les moyens, elle a peint plus grand que nature ses sujets.

La subversion des mesures, la taille agrandie, produit son effet physique mais surtout détache ces sujets de la représentation. Marie Laurence Lamy ne peint pas un certain vase, un bol singulier, elle peint un univers mental, elle fait la peinture d'un voyage intérieur.

Il lui est arrivé depuis quelques mois de prendre des feuilles de papier, et d'y laisser reposer, déteindre, des couleurs, de l'eau, l'empreinte d'autres papiers comme le papier Japon. Et d'y dessiner, à peine, y laisser la trace plutôt, de montagnes, ou de paysages aussi vastes que la mer, en les cadrant volontairement à l'étroit par rapport à leur taille démesurée dans le réel.

Autre subversion. C'est le plaisir du jeu avec la matière plus légère du papier, et l'intervention ludique de la peinture. Le peintre nous conduit vers un autre espace, celui-ci plus grand que la représentation.

Et ce n'est pas le moindre plaisir de cette exposition que de nous offrir à la fois ces objets que sont les vases et les bols agrandis en voyages, et des voyages en paysages devenus objets du papier et de la peinture.

Ghislaine Dunant